Biographie
« IL Y A L'ART OFFICIEL, ET IL Y A L’ART » (1935)

René Iché est considéré comme l’un des plus remarquables représentants de la sculpture moderne française, puis après-guerre du mouvement de la Figuration européenne aux côtés d’Henri Moore, Marino Marini, Alberto Giacometti et Francis Bacon.

Figure même de l’artiste engagé, ses recherches esthétiques et techniques ont été menées de front avec une réflexion plus générale sur la place de l’artiste dans la société et dans l’histoire. Il a dveloppé une œuvre érudite, à plusieurs niveaux de lecture, interrogeant ses expériences intimes pour concevoir une œuvre contemporaine de portée universelle.

Pendant la première guerre mondiale, Iché fréquente Guillaume Apollinaire et l’avant- garde à Paris. Démobilisé, il écrit pour la presse et le théâtre, entre dans l’administration avant de tout abandonner pour devenir sculpteur.

Il est proche du groupe de la Section d’or, et d’Auguste Perret, rencontré chez Bourdelle. Il étudie le béton, la céramique, la fonte et l’architecture.

La Guerre et Homme et enfant de 1925, sont les seules œuvres qui ont survécu alors que Forfaiture, jugée « indécente » en 1923 par le Salon des Indépendants reste de nos jours introuvable. Ces œuvres partagent un aspect lisse, tout en rondeur et en sensualité qui adoucit le sujet comme dans le Monument aux morts de 14-18, à Ouveillan, ouvertement pacifiste et aujourd’hui considéré comme l’un des plus beaux de France.

Son Etude de Lutteurs, groupe primitif, en granit, sculpté au tournevis, déconcerte et choque la critique. Un homme nu, dédoublé, affronte ses démons intérieurs. Iché garde l’espoir que l’homme moderne pourra sublimer ses égoïsmes et deux décades plus tard, quand il aura rejoint la Résistance, Iché revisitera ce sujet de manière quasi obsessionnelle avec Lutteurs à terre, Lutteurs à mi-corps, Fragment de Lutteurs...

En 1930 le marchand Léopold Zborowski sort Iché de la misère en lui achetant l’ensemble de sa production. Il organise une première exposition personnelle et les œuvres d’Iché entrent dans les collections des musées européens.

Depuis plusieurs années, Iché soutient les surréalistes dont il partage les approches, artistiques et thématiques, le goût du hasard, de la provocation et de l’humour noir. Ses mystérieuses Inconnue de la Seine et ses masques d'André Breton et de Paul Eluard, yeux clos, immergés dans une léthargie propice à la rêverie et à l’écriture automatique préfigurent ou accompagnent leurs recherches. L’année suivante, comme Alberto Giacometti, il s’investit dans l’art de la médaille dont il repense le choix des sujets et les techniques. ll revient au nu et décline des fragments érotiques de : Jeune Captive, Jeune Homme ou Contrefleur, en plâtre, en bronze et en marbre. Ses portraits psychologiques alternent avec des œuvres-manifestes: Melpomène 36 pour l’intervention en Espagne ou la sublime et provocante Guernica, qu’il modèle le soir même de l’attaque, c’est à dire, bien avant Picasso. Ce squelette d’une fillette, toujours debout mais martyrisée dans sa chair est tout droit sorti d’un cauchemar lovecraftien. Guernica ne sera exposée qu’une seule fois, en septembre 1939.

Germaine Tillon racontait que dans un même élan, pendant l’Occupation, Iché improvisa sous ses yeux la Déchirée à partir d’un nu de 1937. Elle devient le symbole de la Liberté, aveugle et implorante. Une fonte, produite par Iché parvient au Général De Gaulle à Londres grâce à l’aide de Lucie Aubrac et de Jean Cavaillès.

Après la Libération, Iché inscrit ses Otages ou les Lutteurs dans un espace ouvert où la sculpture monumentale s’associe à l’architecture. Dans le prolongement de ses prises de position de l’entre-deux-guerre, Iché fonde et organise de nouvelles instances professionnelles (Maison des artistes, Syndicat des sculpteurs, ADAGP) et obtient l’établissement de la loi du 1%. L’objectif est la reconnaissance professionnelle des artistes plasticiens via des circuits indépendants et l’ouverture de la commande publique aux « non académiques ».

Il décède brutalement le 23 décembre 1954 à Paris, sans avoir pu exécuter le Monument à Apollinaire, finalement réalisé par Pablo Picasso, et le Mémorial aux Martyrs d’Auschwitz qui ne fut jamais réalisé mais pour lequel il avait imaginé un espace collectif réunissant des artistes de nations touchées par la déportation.

Certains projets d’Iché ont été réalisés après sa mort par de jeunes artistes comme l’Enclos du Souvenir au Mont-Valérien ou encore l’installation de sculptures dans les Jardins du Palais-Royal.

Les fontes originales de René Iché sont aujourd’hui produites sous la surveillance de sa petite fille, héritière des droits et auteur du catalogue raisonné. Elle veille à l’intégrité de l’oeuvre et au maintien des directives fixées par René Iché.

Œuvres
  • RENÉ ICHÉ, Contrefleur, 1933
    Contrefleur, 1933
  • RENÉ ICHÉ, Guernica, 1937
    Guernica, 1937
  • RENÉ ICHÉ, Lutteurs aux jambes coupées, 1942
    Lutteurs aux jambes coupées, 1942
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Entretien BERNARD BLISTÈNE
 
Rose-Hélène Iché, commissaire scientifique et directrice de la rédaction de Surréalismus, s'entretient de l'œuvre de son grand-père René Iché avec Bernard Blistène, directeur honoraire du musée national d'Art moderne du Centre Pompidou attiré, depuis longtemps, par la singularité de l'artiste.
 
Rose-Hélène Iché : Bernard Blistène, qu'est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à René Iché ?

Bernard Blistène : La découverte de certaines de ses œuvres parmi les plus célèbres dont, bien évidemment, l'extraordinaire Guernica, mais aussi l'intérêt qu'a éveillé en moi sa biographie. Je sais qu'aujourd'hui l'idée d'engagement est galvaudée mais il me semble que le chemin d'Iché, ses rencontres, sont d'une importance capitale pour saisir la singularité de son œuvre.
De par ses dates, Iché reste assimilé à la sculpture de l'entre-deux-guerres et à une forme de classicisme qui fait d'ailleurs partie de certains aspects de son travail. Mais en même temps, son parcours est profondément différent pour qu'on éprouve le désir d'y aller voir de près. 
Iché est, à mes yeux, l'homme des grands écarts. Voyez son œuvre, au lendemain de la Première Guerre mondiale, proche dans l'esprit d'Henri Gaudier-Brzeska, mort au front en 1915.
Voyez au fil des années 1930, tant par rapport aux républicains espagnols que, bien sûr, par rapport à la Seconde Guerre mondiale et au rôle qu'il a eu dans les Forces françaises libres, combien son œuvre se métamorphose. Mais voyez aussi ce lien si fort avec les poètes : ses amitiés de jeunesse avec Joë Bousquet, sa proximité avec Guillaume Apollinaire et Pierre Reverdy ou Max Jacob, ses rencontres avec ceux qui deviendront les surréalistes dont il fera les célèbres masques. Iché est certes un homme engagé mais ses études d'histoire de l'art, ses fréquentations des esprits les plus aiguisés du temps font que son œuvre est en constante métamorphose. Et c'est dans cette perspective que j'attends de ces expositions qu'elles contribuent à ébranler une histoire de l'art par trop linéaire.
 
R.-H. I. : L'achat de Louis Hautecœur pour le musée du Luxembourg d'une étude du Nu de 1928 - lors de l'exposition personnelle d'Iché chez Zborowski en 1931 - brouille les cartes. 
Cette première entrée dans les collections publiques françaises ne donne pas la mesure d'Iché. On est loin de Melpomène 36 que Jean Cassou achète en 1939 !
 
B. B. : On ne saurait comparer la pensée d'Hautecœur de celle de Cassou, pas plus que leur chemin respectif... Hautecœur devient directeur des Beaux-Arts et secrétaire d'État sous l'Occupation. Il est l'homme du classicisme et du néo-classicisme. Cassou, c'est d'abord l'homme, ne l'oublions pas, qui est lié aux républicains espagnols. C'est celui qui sera démis de ses fonctions par le gouvernement de Vichy et ce sera encore celui qui, épris de réconciliation, organisera dans l'après-guerre, cette exposition itinérante de sculptures en Allemagne, en Autriche et en Tchécoslovaquie qui réunit aussi bien trois élèves de Bourdelle que sont Giacometti, Richier et Iché, ainsi que Lipchitz dont l'œuvre d'après-guerre peut d'ailleurs, par maints aspects, être comparée à celle d'Iché. Or, il n'est qu'à regarder : entre académisme et art indépendant, on voit bien qu'Iché cherche une position qui lui est propre. Et si l'on se rapproche des œuvres, il est bien clair que sa série de Lutteurs de 1942-1946 ou que la maquette pour le Monument aux Étudiants résistants de 1951 ou nombre d'autres pièces laissent loin derrière elles cette idée d'un académisme auquel on voudrait le rattacher. Iché, ce n'est pas plus Charles Despiau que Paul Belmondo, son œuvre résolument tendu entre statisme et mouvement, entre classicisme et modernité ; bref, un œuvre aux prises avec l'histoire, sous toutes ses formes et dans tous ses états.
 
R-.H. I. : Vous-même me faisiez remarquer que le rapport d'Iché à l'institution vous intéressait.
 
B. B. : Certes, parce qu'il permet aussi de saisir qu'Iché s'est également voulu ce que vous appelez « un réformateur ». Il a travaillé sur le statut des artistes, la question des commandes publiques, celle de droits d'auteur, etc. Il n'a pas abdiqué de ce que pouvait être le rôle de l'État au regard de la création. Il a tenté de contribuer à une prise de conscience d'autant plus nécessaire qu'il avait justement assisté à la soumission de l'État durant la guerre alors que certains de ses fonctionnaires, tout au contraire, tentaient de résister. Il est d'ailleurs tout à fait émouvant de se souvenir qu'à la mort d'Iché, Picasso reprend la commande d'un Monument à Guillaume Apollinaire qu'Iché avait voulu et n'avait pu réaliser.
 
R.-H. I. : Cet intérêt pour le monument vient-il d'Henri Focillon ?
 
B. B. : Ce que je veux dire et vous le dites bien en évoquant la figure majeure de Focillon, c'est qu'il y a aussi chez Iché une recherche de caractère théorique. Focillon est un élève de Normale supérieure et dès l'avant-guerre de 1914-1918, il est le directeur du musée des Beaux Arts de Lyon et, n'oublions pas, le suppléant d'Émile Mâle qui va entrer à l'Académie française, lui même grand médiéviste. Il est d'ailleurs peut-être intéressant de voir quel aura été l'impact de la sculpture médiévale dans l'œuvre d'Iché. Nous évoquions Derain... Souvenons-nous de son Portrait d'Iturrino de 1914 : une rupture décisive et une forme de « retour » dont je peux penser qu'il aura eu un impact réel sur Iché.
 
R.-H. I : Alors qu'il se cherche en tant qu'écrivain à Montparnasse, il lâche tout pour la sculpture. C'est au Dôme, qu'il rencontre un étudiant de Yale qui l'emmène chez Bourdelle...
 
B. B. : Iché reste attaché à Bourdelle tant pour son œuvre que, sans doute, pour son enseignement. Il est vrai qu'on est loin du théâtre de marionnettes de Gaston Baty qu'il aime et fréquente. Mais ce qu'il y a justement de fascinant chez Iché, ce sont bien ces grands écarts qui le font, tout à la fois, dans la proximité de ces figures héroïques de la sculpture de la fin du xixe et du début du xxe siècle et, qui en même temps, l'emmènent répondre à la demande d'un masque de Breton ou d'Eluard. Ces pas qui le conduisent à côtoyer les cercles de Montparnasse et être finalement, quand même, quelqu'un qui, toujours guidé par cette dimension sociale et politique, va à un moment donné s'interroger avec Emmanuel Mounier sur la construction de la revue Esprit, pour d'ailleurs s'en éloigner, tout en travaillant à un numéro spécial sur l'Esthétique avec Marc Chagall !
 
R.-H. I : Un parcours déroutant n'est-ce pas ?
 
B. B. : Son chemin en soi est un chemin tout à fait singulier et qui est, à mon avis, une réflexion critique sur le statut du sculpteur dans la première moitié du xxe siècle et qui,  justement, fait que rien de ces clivages autour desquels on a tendance à penser une œuvre chez lui ne résiste. Et c'est là, si vous voulez, que je suis très intéressé de voir comment son œuvre va désormais être relu.
Je suis convaincu qu'il y a tout dans l'art d'Iché pour montrer qu'il est une aventure de l'esprit tout à fait singulière et à ce titre, bien plus important qu'on ne l'aura récemment encore supposé.
 
Entretient extrait du catalogue de l'exposition René Iché (1897-1954) : L'art en lutte au musée de la Piscine de Roubaix (24 juin 2023 au 3 septembre 2023)
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