Biographie
« La relique est la première forme d’exposition »
Aurélia Zahedi est une artiste plasticienne diplômée de l’École Supérieure d’Art d’Avignon en 2011 et de La Villa Arson à Nice en 2013. Elle expose son travail en 2015 au Salon de Montrouge et intègre le programme de recherche Offshore « création et mondialisation » de 2016 à 2017 à Shanghai (Chine).
Successivement, elle co-créer La Maison Auriolles en 2018 à Bias (sud-ouest de la France), lieu de recherche, de rencontres et d’inventions poétiques.
Aurélia Zahedi maquille la mort, la déguise pour la donner en spectacle. Elle est dans une quête incessante de sa beauté qu’elle met en avant par des artifices. Ses installations/sculptures qu’elle définit comme « pièges à séduction » laissent place à des memento mori. 
Depuis 2017, une grande partie de son travail se concentre sur la rose de Jéricho, plante nomade et mystique des déserts.
Dans cette quête incessante elle multiplie ses voyages à Jéricho (Palestine). Ainsi, elle convoque un certain nombre dematières et de langages pour réinventer ce végétal poétique, qui dès lors, frôle des questions complexes de croyances et d’incertitudes. En 2018, elle obtient le Prix Nopoto pour La Rose de Jéricho puis en 2021, elle reçoit la bourse Fanak Fund pour la mobilité des artistes au Moyen-Orient, et la bourse Ekphr@sis de l’ADAGP.
En 2024, l’Institut des Cultures d’Islam à Paris expose une monographie de son travail sur la Rose de Jéricho.
Œuvres
  • AURÉLIA ZAHEDI, Cerf d'Or, 2024
    Cerf d'Or, 2024
  • AURÉLIA ZAHEDI, Chant suspendu, 2015
    Chant suspendu, 2015
  • AURÉLIA ZAHEDI, La prière de Nesrine «Est ce que le ciel pourrait laver la terre de notre inhumanité ?», 2023
    La prière de Nesrine «Est ce que le ciel pourrait laver la terre de notre inhumanité ?», 2023
  • AURÉLIA ZAHEDI, Reste les songes à boire , 2024
    Reste les songes à boire , 2024
  • AURÉLIA ZAHEDI, Tapis de fleurs , 2013
    Tapis de fleurs , 2013
Expositions
Texts
Mettre en lumière
En septembre dernier, afin de préparer mon article pour le Quotidien de l’Art, Aurélia Zahedi m’avait invité à passer quelques jours dans son
domicile actuel, une maison située dans un petit village à environ une heure d’Agen. En ces temps de confinements et de contraintes, mon séjour allait me rappeler à quel point l’expérience physique d’une rencontre est importante et, dans mon cas, nécessaire à comprendre le travail de l’artiste.
Après ma première nuit à Maison Auriolles, un centre de recherche co-fondé en 2018 par l’artiste Aurélia Zahedi, j’ai trouvé un mot sur la table de la cuisine écrit sur papier rose : « Je suis allée jouer de l’orgue. De retour à 9h30. » Comme Zahedi m’avait vanté l’énergie vitale du Lot, rivière accessible par un
petit chemin depuis la propriété ancienne qui accueille le centre, j’avais décidé d’y plonger. Plus tard dans son atelier, avec une tasse de verveine de son jardin dans les mains, Zahedi m’a expliqué que pratiquer l’orgue dans les églises environnantes, dont elle détient les clefs, c’est ça son petit déjeuner. Elle est attirée par cet instrument auquel on ne peut jouer qu’après une ascension à l’intérieur des nefs de pierre et par sa musique « qui accompagne les morts. » Parcourant les claviers avec ses mains et ses pieds, elle voit s’ouvrir les portes de son cerveau.
Il est primordial pour un artiste de disposer d’un texte critique de qualité sur son travail. C’est le souhait d’encourager ce format d’écriture qui est à l’origine des bourses Ekphrasis, lancées par l’ADAGP en association avec l’AICA France et le Quotidien de l’Art : elles ont pour objet de mettre en relation 10 artistes avec autant de critiques. Les textes des 10 lauréats de cette deuxième édition (dotés chacun de 2 000 euros, couvrant la rédaction du texte et sa traduction) sont publiés au long de l’année dans le Quotidien de l’Art, au rythme d’un par mois. Dans cette dixième livraison, Lillian Davies se penche sur le travail d’Aurélia Zahedi.
Zahedi a grandi dans le centre de la France. Elle a étudié les arts visuels à Avignon puis ensuite à la Villa Arson, où elle a présenté comme projet final une nature morte en tant qu’installation, Sans titre (2012). Sur la pelouse immaculée de l’institution gisait une chèvre morte attachée à des ballons gonflés d’hélium, d’une palette de roses, oranges et verts brillants. Même si Zahedi ne se positionne pas comme peintre, son approche artistique se fait dans un cadre pictural avec le plus souvent pour objet la toile et ses enjeux de lumière. Pour manipuler, même « brûler la lumière », Zahedi a commencé a utiliser des paillettes dès 2013 lors de son installation Sans titre, dans le cadre de l’exposition inaugurale de la Galerie Eva Vautier à Nice. Des poissons, à priori des bars, changés chaque jour et posés sur une mer de paillettes argentées étalées à même le sol. « J’utilise les paillettes pour maquiller quelque chose de difficile à regarder », explique-t-elle pour justifier son appropriation de ce matériau aussi enfantin que jubilatoire pour « Paysages Désenchantés » (2015). Zahedi l’applique comme de la peinture sur les toiles de cette série. Dans chaque œuvre, elle représente un animal mort avec un beauté tragique qui rappelle le registre dramatique des productions d’Angélica Liddell. Presque cachée et embellit par une composition complexe et éblouissante, la forme de l’animal se fond dans un festin de couleurs et de reflets.
Fin 2021, dans une salle du Musée des Beaux-Arts de Nancy, au milieu d’œuvres de Caravage et Rubens, Zahedi présentait Tapis de fleurs (2013), une accumulation de fleurs en soie ou en plastique, aux couleurs passées, trouvées dans des poubelles de cimetières. L’œuvre s’adapte aux dimensions du lieu d’exposition. De plus en plus soucieuse du contexte, Zahedi dit vouloir s’exposer dans les lieux de culte « où le sacré est déjà présent. » « La relique est la première forme d’exposition » affirme-t-elle. À Nancy, comme à Avignon, dans l’Église des Célestins, son œuvre « est entourée d’icônes, la Vierge n’est pas loin. » 
Dans son travail avec les charognes, trouvées dans la forêt ou données par des amis ou des villageois, Zahedi définit son geste artistique en les « mettant en
lumière », à la manière de Jean-Henri Fabre. Elle se réfère parfois au naturaliste, philosophe et poète du 19e siècle, connu pour son travail méticuleux associé à une grande liberté d’interprétation, comme par exemple sur certains anthropoïdes comme le scarabée sacré. Inspirée par son attention, sa discipline du regard et sa capacité d’observer et de dépeindre, Zahedi dit « c’est ça être artiste : raconter une histoire ». Dans ses œuvres comme Madame le Sanglier (2015) où un crâne de l’animal est posé sur une colonne habillée en tissu rouge scintillant ou alors dans Danse macabre (2014) où une branche d’arbre morte est ornée avec des carcasses de pigeons, nous voyons l’artiste créer des personnages pour ses contes fantastiques.
C’est la rose de Jéricho qui s’épanouit au cœur du travail de Zahedi, une plante d’une « beauté modeste », nomade et quasi-immortelle, entourée de légendes. Certains disent qu’elle ne fleurit que là où les pieds de la Vierge ont touché la terre. Mais la Vierge n’est à priori jamais passée par Jéricho. Avec le soutien du Fanak Fund, Zahedi prépare actuellement un voyage en Palestine où elle travaillera avec des Bédouins pour imaginer la route que la Vierge Marie aurait pu emprunter si elle était passée par cette ville, qui fit partie de l’Empire Romain puis du califat d’Umayyad et de l’Empire Ottoman, et qui est aujourd’hui divisée par les conflits de la Cisjordanie. En préparation à ce travail in situ, Zahedi recherche des images des pieds de la Vierge Marie pendant sa fuite en Égypte. Elle souhaite graver son empreinte imaginaire sur des pierres dans le désert puis créer une cartographie de son chemin en français et en arabe. Dans Repos de la Sainte Famille d’Orazio Gentileschi (1625-1650), le pied nu de la Vierge Marie est visible et surprenant par sa grande taille. Dans cette composition, alors que Joseph, épuisé, s’allonge sur leurs modestes bagages, elle a la force d’allaiter l’enfant sacré.
Ce moment de repos est important, car c’est un état dit « de dormance », que la rose traverse elle aussi, ne s’ouvrant qu’au contact de l’eau. Zahedi ressuscite la plante lors de ses contes conférences ou l’utilise, trempée d’encre, pour que de son ouverture naisse un dessin, Réveils (2020). Cet « état de dormance » Zahedi le cherche aussi à Maison Auriolles, une « maison sans objectif ». Après un parcours institutionnel de qualité, passant par la Villa Arson, le Salon de Montrouge, ou encore le Quai Branly, Zahedi a décidé de se mettre en retrait, de chercher une voie alternative. « Maison Auriolles est un acte politique », explique l’artiste. Là-bas, Zahedi vit avec une cheffe de chœur, une comédienne, un fermier, un médecin et un jeune homme qui dresse des ânes pour ensuite les faire travailler dans des fermes biologiques. Les portes de la maison sont toujours ouvertes. Autour de la table les visiteurs sont fréquents, que ce soit pour partager leurs idées ou leur pain. Dès qu’il y a un rayon de soleil, la table est sortie le long d’un étang recouvert de lotus provenant des mêmes bulbes que ceux de Giverny. L’histoire veut que Monet les ait récoltés dans un château voisin. Zahedi envisage de créer un cimetière au sein du domaine, comme un écrin en plein air pour sa collection de charognes qui ne cesse de grandir. Ce sera un cimetière qui rend la mort visible, un prétexte pour la musique, la littérature ou alors le théâtre.
La voix de Zahedi peut être régulièrement entendue à la radio locale dans son émission, « La Nef des Fous. » Ce titre est emprunté au conte de Sébastien Brant (1494) et illustré dans la toile éponyme de Jérôme Bosch (1490-1500), l’histoire d’une bande hétéroclite d’hérétiques jubilatoires au large sans capitaine. C’est une scène qui rappelle celle qu’elle compose à Maison Auriolles, une maison « toujours humide. Ici on flotte sur l’eau ». En naviguant vers la mort, le travail de Zahedi célèbre la vie.
 
Le Quotidien de l'Art, 10.11.2022 
Article de Lillian Davies
 

 
A propos dʼAurélia ZAHEDI

 

« On entre dans une installation dʼAurélia Zahedi comme dans LʼEscarpolette de Fragonard, et on en ressort comme des caprices de Goya… « Je tiens à une première approche de séduction, provoquée par le merveilleux dans lʼimage, qui laisse place à une plus sombre amertume » reconnaît-elle. De loin tout nʼest que fleurs, danse, paillettes, mais de près ce sont des cadavres dʼanimaux et les souvenirs funéraires qui sautent à la gorge. Aurélia Zahedi revendique crânement la pratique artistique comme fabrique dʼillusions, de pièges à sentiments, mais à lʼapproche ses compositions cèdent la place à des décompositions, avatars contemporains des natures mortes ou des vanités dans La société du spectacle.

Tout ce qui, dans la peinture ancienne, chatoyait ou étincelait les compositions florales, le vernis, les flancs argentés de poissons à écailles, est étalé là, bien réel, sous nos yeux, sous notre nez aussi, putride, graisseux… Son Tapis de fleurs (2012) mêle vraies et fausses fleurs, mais toutes ont été ramassées au cimetière, et empestent soit la vieille poussière, soit le pourri. Idem pour sa gracile Danse macabre (2013) : foin dʼinsouciants volatiles sur la branche, car lʼarbre et les pigeons sont pareillement morts, et même momifiés. Le monde que nous promet Aurélia Zahedi est le nôtre, un monde en putréfaction qui se maquille outrageusement comme une courtisane fanée, mais ne parvient pas à dissimuler les os qui percent sous sa joue car elle nʼest plus quʼun squelette.  »

 

—  Stéphane Corréard, critique d’art, directeur du salon Galeristes,

ancien directeur du Salon de Montrouge à Paris.