64 rue Monceau
NABUYOSHI ARAKI - ARMAN JOHN ARMLEDER - FABIEN BOITARD LOUIS CANE - QUENTIN DEROUET CYRIL DURET - NADA DUVAL NILS GUADAGNIN - RAYMOND HAINS MICHEL JOURNIAC - RA’ANAN LEVY JEAN VON LUGER - ARISTIDE MAILLOL FRANÇOIS MORELLET - FAHR EL NISSA ZEID KAROLINA ORZELEK - EUGENIO PIPO
DANH VO - GUY YANAI
Juillet 2017, un collectionneur nous annonce qu'il vient d'acquérir un ensemble d'appartements pour agrandir ses bureaux. Il nous propose d'y réaliser une exposition avant de lancer les travaux. Nous décidons de faire revivre un lieu, un souvenir, une histoire.
Nous visitons cet espace, trois appartements parisiens désertés par leurs occupants. Seuls restent la poussière, les meubles et les objets sans valeur. Les traces des tableaux aux murs, quelques cravates dans un carton, de vieux livres, bibelots et vaisselles. Au milieu du salon principal trônent sur la table basse Trois Grâces porcelainées.
La famille est passée, elle a récupéré tous les objets précieux et a laissé derrière elle les résidus de tout ce qu'un homme accumule au cours d'une vie. Tous ces restes - tapisseries, moquette, agencement de la cuisine, coloris des tissus - ont le goût d'une époque, la saveur des modes d'un autre temps.
Sur ces murs remplis de mémoires, de salissures et de traces, nous invitons des amis, des galeristes et collectionneurs, aux côtés d'artistes que nous avons envie de soutenir. C'est une invitation dans un espace total où, œuvres d'arts, odeurs et sensations s'entremêlent pour réinventer une madeleine de Proust à taille humaine. Tel un souvenir collectif, dans un ensemble qui évoque inévitablement les appartements de nos grands-parents, L'Anti-Destin se joue du temps.
Nous imaginons cette proposition comme une dernière danse. Un dernier tour de piste avant les travaux.
Les œuvres de l'exposition dialoguent entre elles, communiquent par des liens évidents, des anachronismes perplexes ou des jeux fusionnels. Certaines se fondent subtilement dans le décor chargé de l'appartement, d'autres dénotent et intriguent par leur force contemporaine et formelle. Dans cet univers domestique du passé, quelle est la valeur des œuvres d'art face aux objets obsolètes ? Ces pièces - dessin d'Aristide Maillol, lettre de Danh Vo, sculpture d'Arman, toiles de jeunes artistes - sont à vendre et pour le reste - vieux livres, canapés, lampes - tout est à donner.
Marcel Duchamp annonce en 1967 « qu'après quarante ans un objet devient forcement beau 1 ». Qu'en est-il exactement de ces productions qui résistent plus ou moins au temps ? Les objets, les appartements, les êtres fanent peut-être joliment mais certaines œuvres ont en elles le témoignage de ce combat contre la mort. Elles sont des traces d'éternité car l'art est une des seules portes de sortie, « l'art est un anti-destin 2 ».
Peut-être que « la beauté sauvera le monde 3 », malgré la poussière caressant inlassablement nos appartements.
1 DUCHAMP Marcel, interview, 1967
2 MALRAUX André, « Les voix du silence », Skira, Paris, 1961
3 DOSTOIEVSKI Fiodor, « L’Idiot », Le Messager russe, Moscou, 1868 - 1869