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Jean-Pascal Léger

(catalogue de l’exposition au CAP Royan 2019)

Dans une exposition de Ràfols-Casamada, le philosophe Henri Maldiney me dit l’importance qu’il attachait au rôle des blancs dans la peinture. Depuis lors, il m’arrive souvent, quand je découvre une exposition, d’en parcourir tous les tableaux d’un coup d’oeil et, passant rapidement d’une oeuvre à l’autre, de me laisser d’abord guider uniquement par les blancs, les blancs laissés en réserve ou les blancs repeints sur la couleur.

Dans l’atelier de Guillaume Lebelle, ce premier coup d’oeil m’a demandé beaucoup plus de temps ! Non qu’il m’ait fallu chercher longuement le blanc dans ses tableaux, bien au contraire : ceux dont le blanc est absent font exception et je pourrais dire que Guillaume Lebelle est un coloriste chez qui le blanc est dominant...

Le blanc natal : qui abrite la gamme des couleurs ou qui fait de la couleur une intensité visible de l’air.

Le blanc des intervalles : qui favorise les interactions entre des couleurs atomisées. Comme la neige, il unifie la peinture alors même qu’il poudroie l’espace ou qu’il semble pulvériser le monde.

 

Le blanc – ou l’air. Lorsqu’il exposait à la galerie de Jean Fournier (2000-2006), Guillaume Lebelle peignait en alternant les plages colorées et les plages vides où la toile brute apparaissait. Aujourd’hui certaines de ses toiles préservent ce vide, une surface non pas blanche mais vierge, non peinte. Les franges colorées qui le bordent rendent ce vide lumineux, leurs rives verticales s’écartent comme deux battants. Des indications de géométrie ébauchent une architecture, des cloisons, une fenêtre.

 

Les petites toiles de Guillaume Lebelle demandent à être regardées de près : on verra leur matière généralement légère, animée, presque volatile, et des vibrations comme de plumes ou d’efflorescences ; mais aussi, aperçues de plus loin qu’habituellement vis-à-vis de petits formats, leur structure offrira une stabilité bienvenue à ces instants fragiles qu’on pouvait croire menacés de flottements ou de dérapages. Quand le vide n’est pas préservé, il arrive que le peintre le rétablisse. Qu’il allège du moins son tableau par du blanc : il introduit une trouée, une volte éblouissante, il ouvre un corridor qui contraste avec le bleu ou avec le noir environnant. Ce sont là des ajours et des échappées, non des ruptures, puisque le blanc circule, aère et pollinise d’autres champs :

 

« Tu as toujours besoin de garder contact avec l’air, de laisser filtrer la vie ambiante » (extrait d’un entretien avec Rémi Labrusse, catalogue Myriade et Focus). 

Dans le bruissement des vents, ces petits tableaux nous font signe. Ils ont une capacité voyageuse, portative..., l’artiste peint aussi dans le train, il fait passer ses tableaux d’un atelier à un autre et, portant à vélo les plus petits, il aime leur faire prendre l’air et qu’ils s’invitent même à parler avec les oeuvres d’autres artistes, contemporains ou non, dans une galerie, dans une foire, dans un musée...

 

Dans son atelier déjà, il s’étonne du moment précieux de l’accrochage : chaque fois qu’une toile se dresse, quand elle sort du chaos du monde et de la foule des oeuvres, que lignes et couleurs nous arrêtent, nous alertent, et quand le tableau nous dit, même le plus discret : « Je suis une peinture ».

 

Lorsque Guillaume Lebelle montre un de ses tableaux, il ne tarde pas à lui chercher compagnie dans la famille des toiles et dessins accrochés, agrafés, posés, empilés dans l’atelier ; il s’étonne encore de ces rencontres inattendues, parfois entre des œuvres très éloignées dans le temps, qui s’aimantent sitôt qu’on met au jour leur articulation. Le flux incessant de la peinture autorise ces ajointements, collages, confluences. Des lieux multiples (ateliers ou appartement ou locaux industriels) tous habités par la peinture, des centaines de toiles et d’œuvres sur papier aux murs et aux sols de ces différents espaces, son impressionnante mémoire de la peinture et de la poésie, tous ces éléments favorisent la dissémination et la coexistence.

 

De grands tableaux, longtemps travaillés et approfondis, ne nous proposent pas d’aller vers davantage de simplicité. Ils installent le lieu des correspondances.

 

De même qu’il faut considérer les petites toiles à la bonne distance – un peu de recul et de temps nous fait voir l’arbre au principe du feuillage –, de même nous faut-il accommoder notre regard à l’espace des grands formats.

Fragmentation de mots et de figures, de possibles lignes du corps, de probables paysages (de ciels et de collines, d’écoulements, de chutes, de cascades...), ébauche de mouvements qui tournent court, multiplication de points de vue, évocation (sans citations) de peintres français ou japonais auxquels Guillaume Lebelle n’hésite pas à faire référence (il a regardé les dessins de Sengai, ceux de Fautrier, les intérieurs de Vuillard, la Normandie de Boudin et des Impressionnistes...) ou d’artistes contemporains comme Cecily Brown, ce vaste monde, peuplé et fractionné, coloré et dessiné, nous semble travailler avec le vertige. Il en fut ainsi pour de grands artistes, à Auvers-sur-Oise ou à Dormont par exemple.

 

Soit en un vide central (ou le vide de la toile brute), soit comme le « fond qui augure de tout», le blanc nous permet d’habiter et de vagabonder dans cet espace. L’orchestration nous fait repérer les instruments les plus solitaires et participer aux mouvements d’ensemble. Les couleurs s’éclairent, se répondent, s’intensifient (notamment le rouge), les lignes se délient. La Grande brasse (179 x 205 cm) nous offre la lumière, un flot de lumière, la souplesse : un nouveau Bonheur de vivre.

Le moindre tournant des vents
fut pour moi signe ou alerte ;
chaque intime découverte
me refaisait enfant.
Rainer Maria Rilke 

GUILLAUME

LEBELLE

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