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TOUCHER

L'HORIZON

Adam Bogey  |  herman de vries

Du 16 septembre au 07 novembre 2020

À l’heure où la distance est de mise, à celle où la terre et les cieux résument un environnement planétaire meurtrit, à celle réactualisant les dures crises sanitaires que l’humanité a toujours traversé, il a semblé primordial de revenir à cet « essentiel », qui, subitement, est (re)devenu fédérateur. Et, alors que le quotidien devenu bancal cherche sa place, l'urgence d'observer les fondamentaux comme tels gronde toujours. Les sols que nos pas foulent, les nuages qui continuent leur calme course, le commun, dans la pluralité de ses sens, semble, curieusement à réapprendre. Ce commun admis que l’on ne regardait plus semble hurler à la non-invisibilisation, ce commun partagé sans qu’il ne s’envisage n'acceptera plus le silence. Celui-là même qui résume la base de tout et qui fera dire à herman de vries « all this here », celui-là, l'art en accueille le reflet.

 

C'est ainsi qu'accoler les cieux de l’artiste franco-mexicain Adam Bogey aux terres du néerlandais herman de vries renvoient aux deux points d’acmés primordiaux qui ont tracé ce monde si beau, aujourd’hui encore apeuré. L’en-haut et l’en-bas, origines de tous les mythes, en sont certainement la substance première. Ici, entre les deux artistes, Gaïa, la terre-mère créatrice retrouve Ouranos, dieu du Ciel et de l’Esprit dans une idée atemporelle d’union au seul lien perceptible. A eux deux, ils résument le commencement de tout et enfantent d'un lien fragile que le visiteur devra tendre seul : l'horizon. 

 

Du côté de l'en-haut, la série « Fuegos » d’Adam Bogey trouve dans ses aplats de couleurs, myriade de références à sa double nationalité. Les chaudes teintes qu’il emploie s’exhument des pigments préhispaniques, des fresques de Diego Rivera, et de la douceur de Claude Monet ; mais renvoient à des leviers plus durs et plus actuels. Cette série émerge lorsqu’il assiste, en 2019, impuissant aux côtés de l’ensemble de la planète, aux terribles feux ayant détruit l’Australie et l’Amazonie. Basses, torturées, déchirées, ces trainées de couleurs se chargent des frayeurs contemporaines d’une nature au désespoir qui fascine depuis toujours et que les musées, depuis des siècles, ne cessent d'accrocher à leurs murs. Le sentiment du sublime que l’on peut retrouver dans les toiles de Claude Lorrain ou Turner et dans les études de ciel de Delacroix fait alors étrangement écho au kitsch de l’assourdissante base iconographique des photographies de coucher de soleil que les débuts de l’ère numérique ont largement exploité. Fantasmé à outrance, cet espace lointain, omniprésent et si vaste qu'est le ciel est ici réduit à une respiration primaire, brute et parfois grossière, celle d’un pastel gras qui trace un mystérieux mélange.

 

Ce que l’on pourrait envisager comme un rappel au tracé préhistorique apparaît autrement dans le geste essentiel de la main d’herman de vries. A la surface des From earth, sur du papier, il saupoudre de la terre issue de divers endroits du monde et l’étale, du bout des doigts (majoritairement du pouce), en des mouvements droits et réguliers. Cet effleurement engage un comportement qui devrait résonner en chacun d’entre nous : caresser, prendre conscience et contempler le sol sur lequel nous marchons. L’artiste, par ce geste rituelique, sacralise ce qu’il touche et offre à voir. En extrayant la banalité supposée de ce que l’on a tendance à enfermer sous le béton, en le portant au mur, il lui redonne toute l’étendue de son importance. 

 

Bogey et de vries se rejoignent en un message s’étalant au-delà même de considération écologique. Ils forcent à s’arrêter sur ce qui, bien qu’immensément complexe, s’envisage encore insensément pour certains comme quelque chose à conquérir : le ciel et la terre. Par leurs touches respectives, chacun à une extrémité de l'athmosphère, l’un proche du post-impressionnisme, l’autre du minimalisme, Bogey et de vries rappellent qu’il est important de réactualiser le statut d’un artiste passeur du réel, pour pouvoir mieux s’y attarder. 

Sandra Barré

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